Dans le petit univers cinéphilique que je fréquente, Norman Jewison est un de ces réalisateurs à s’en prendre plein la tête.
Parfois à juste titre (Dans La Chaleur De La Nuit, sujet sulfureux à l’authenticité sociale frileuse), parfois sévèrement (Rollerball) ou parce que victime de dérapages filmiques incontrôlés (certaines séquences de L’Affaire Thomas Crown).
Pour tout ça et pour bien d’autres choses encore (Les Russes Arrivent !), il était temps d’apporter à ce déséquilibre une note positive, avec l’un des films les plus sympathiques de ce cinéaste : Le Kid De Cincinnati.
Avant d’évoquer au mieux ce qui fait la réussite de Le Kid De Cincinnati, rappelons qu’à l’origine le premier tour de manivelle du film fut donné par Sam Peckinpah à qui la production demanda rapidement de faire ses bagages après la vision des premiers rushes de tournage (à contre-courant du pur produit Hollywoodien souhaité par les investisseurs) et déjà un chouïa irrité par le souhait du réalisateur à vouloir tourner le film exclusivement en noir & blanc.
L’on fit donc appel au sens avisé du cinéma commercial vu par Norman Jewison qui, tout en conservant certains éléments prépondérants du scénario original, allait édulcorer l’inspiration critique liée au contexte du film (la crise de 1929) qui motivait tant Sam Peckinpah. Mais, bien que dépouillé d’un propos qui aurait fait basculé le film dans une toute autre sphère (et de ce fait aurait amplement mérité la comparaison avec L’Arnaqueur), Le Kid De Cincinnati, devenu désormais un pur produit de série, allait pourtant mérité qu’on lève le pouce à l’égard du réalisateur de L’Affaire Thomas Crown.
Sorti de la conventionalité de ce drame psychologique imaginé par ses (nouveaux) auteurs, surgissait l’efficacité de la trame classique d’un western (à la Nouvelle Orléans, un jeune marginal allait affronter le plus grand joueur de poker de l’Etat), dans laquelle les acteurs du film prenaient la pleine mesure de leur personnage, déclinaison parfaite des figures rhétoriques de l’Ouest.
Steve Mc Queen y interprétait donc le cow-boy solitaire, Rip Thorn endossait le costume du riche propriétaire détestable et détesté, Ann Margret la garce de saloon, Karl Malden composait le fidèle compagnon du héros, et Edward G. Robinson, avait pour rôle celui de l’homme à abattre.
Figure de proue de ce schéma actanciel, le personnage de Steve McQueen tendait à capitaliser (admettons, avec presque 10 ans de retard), sur les thèmes du conflit de générations (ici au travers du duel McQueen/Robinson), de l’incommunicabilité (l’excellent final) et de la délinquance qui firent le succès, par exemple, des films de Bedenek (L’Equipée Sauvage) ou Robert Wise (Marqué Par La Haine), sans toutefois en posséder la profondeur sociale.
De toute façon, le film ne gagnait pas à être vu pour son mélodrame de façade, mais bien parce qu’il offrait d’excellents face à face d’acteurs (Steve McQueen à Ann Margret et cette superbe fessée infligée par l’interprète de Bullit!) et parce que la partie de cartes opposant Edward G. Robinson à Steve McQueen allait constituer le point culminant du film, morceau de bravoure rappelant les plus intenses duels de western du cinéma, ou comment la petite fée du cinéma s’est un jour penché sur l’épaule de Norman Jewison (imaginez l’intensité de la partie de poker opposant Paul Newman à Robert Shaw dans L’Arnaque, puissance 100).
Là où un autre film sur le thème du jeu, L’Arnaqueur, souvent comparé à celui de Jewison, mettait en scène un jeune joueur de billard victorieux de ses épreuves, le film de Norman Jewison évoquait, en pointant l’échec de Steve McQueen sur Edward G. Robinson, l’Amérique des losers (voir ce passage où battu par Robinson, McQueen se réfugie à l’extérieur et échoue dans un vulgaire jeu de pièces de monnaie contre un môme de 10 ans), renvoyant sans doute, en surface, l’idée du film que voulait développer Sam Peckinpah, en bon fils spirituel de John Huston qu’il était.
On regrettera donc forcément l’happy-end, illustrant l’adage « malheureux en jeu, heureux en amour » que n’aurait sûrement pas toléré le grand Sam…
En l’état et en évitant de refaire l’histoire, Le Kid De Cincinnati demeure bien LE film de Norman Jewison le plus hautement recommandable.